Coline Jourdan

Résidence Pythéas / 2023-2024

Du 1er janvier au 1er décembre

Résidence Artistique à Marseille

La résidence Pythéas est une véritable bourse de création qui permet depuis quatre ans de développer un projet particulier.

Tous les champs de la création photographique sont concernés. Les artistes sont soutenu·e·s et accompagné·e·s par le Centre Photographique Marseille afin de mener un travail artistique personnel en cours de réalisation, qu’il s’agit de poursuivre ou bien de terminer, sans obligation réelle de résultat. Pour la résidence Pytheas le choix des deux artistes, sélectionné·e·s chaque année par un jury indépendant, favorise les pratiques qui établissent des liens avec notre projet artistique, notamment les travaux qui questionnent (sans préférence particulière) le médium, les médias, l’histoire, la société, le territoire ou encore l’environnement.


Coline Jourdan

Coline Jourdan, née en 1993, vit et travaille en Bretagne. Son travail articule les questions de la perception et de la représentation du toxique à celle de sa relation avec la matière, l’espace et l’image. Ses projets photographiques engagent une réflexion sur sa présence dans notre environnement quotidien et sur ses impacts souvent imperceptibles. Son travail a été présenté dans des expositions collectives et personnelles. En 2023 son travail est présenté lors d’expositions collectives, à la BnF dans le cadre de l’exposition L’épreuve de la matière, mais aussi à C/O Berlin lors de l’exposition de Boaz Lanvin Image ecology. L’année suivante son travail est finaliste pour le Prix Découverte des Rencontres d’Arles et est exposé lors du festival international de photographie.


©Coline Jourdan

Les bruissements de l’eau

« J’ai commencé à questionner nos relations aux paysages et à la nature par le prisme des impacts que nos activités pouvaient avoir sur nos territoires ; des traces, souvent imperceptibles, que nous pouvions laisser dans les espaces naturels lors de nos quêtes incessantes de profit et d’abondance. J’essaye de prendre toutefois soin d’aborder la question sans tomber dans certains lieux communs de l’écologie. Cette recherche commence par un travail de terrain, me rendant sur des lieux contaminés, j’en retravaille ensuite les images pour modifier la perception que l’on peut en avoir. Ce trouble jeté dans l’économie des représentations me permet d’interroger la « vision » des hommes sur leur environnement.

En 2018, cette recherche me mène sur les rives du Rio Tinto. Ce fleuve de la province espagnole de Huelva, fait partie de ces fleuves dont le passé offre une perspective sur le présent. Son histoire est marquée par la dynamique de l’extraction et de l’expansion : s’appuyant sur les riches gisements de minerai de la région et sur une tradition minière qui remonte à l’Antiquité, il raconte l’histoire d’une privatisation des mines au cours de l’industrialisation, une protestation brutalement réprimée des mineurs et les graves conséquences écologiques de l’extraction des matières premières. Ces dernières ont encore un impact sur l’état du fleuve aujourd’hui. L’activité de la compagnie Rio Tinto au 19ème siècle ne s’est évidemment pas arrêtée aux frontières de l’Espagne.

Lors de la résidence au Centre photographique de Marseille, je me suis intéressée à la pollution présente dans la rade de Marseille, à l’arsenic omniprésent dans les Calanques, mais aussi à l’Estaque. L’Estaque est un quartier du 16e arrondissement de Marseille, situé au nord-ouest de la ville. Il est réputé pour son ambiance de village et ses paysages qui ont inspiré de célèbres peintres. Aussi connu sous l’appellation de « ex-Rio Tinto », ce quartier abrite un ancien site industriel dont les premiers à l’avoir exploité pour traiter leur minerai en provenance de l’Espagne était Rio Tinto. Si cette friche fait désormais partie du paysage, elle aurait pu ne pas exister si l’on avait écouté l’avis des habitants. Ces derniers étaient, dès les années 1870, opposés à l’installation de ce site, mais à qui on a raconté que ces pollutions sont le prix à payer pour la prospérité. En sciences de l’environnement, la « vulnérabilité perçue » sur un territoire conjugue à la fois les risques auxquels il est exposé et la valeur humaine ou environnementales qu’il lui est accordée. Les bruissements de l’eau, s’intéresse à ce site, pose la question de la manière dont les traces visibles et invisibles de cette histoire industrielle s’inscrivent dans ce paysage. Je cherche donc à raconter ces lieux dans une démarche s’articulant entre le documentaire et l’expérimentation.

Pour cette part d’expérimentation formelle, l’eau de mer proche de ses sites est récoltée, puis utilisé pour faire image (des papiers salés en cours de réalisation). Pour la réalisation de tirages en papier salé, l’eau doit être neutre, sinon des impuretés et imperfections apparaissent. J’observe donc les paysages à la recherche d’une pollution invisibilisée et d’un équilibre sensible entre le passé industriel et la beauté des lieux. Cette recherche vise à dévoiler la catastrophe en cours, sans essentialiser ce paysage pour photographier au mieux la complexité d’une pollution dissimulée. »

-Coline Jourdan

©Coline Jourdan


Visuel : Coline Jourdan

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