Du
23 novembre au 2 février
Au Centre Photographique Marseille en 2018/2019
Invitation au voyage à partir du désert du Nouveau-Mexique. 1989-1999.
« Dix années d’obsession en Noir et Blanc, et un travail très peu montré, pourtant essentiel dans mon rapport à la photographie.
Paysages désertiques en noir et blanc, répétition jusqu’à l’usure, 10 ans de déplacements lointains pour toujours refaire presque la même image.
Progressivement, j’ai compris en quoi cette démarche répétitive m’était si nécessaire, telle une musique de quelques notes rejouées qui composent la trame de la mélodie.
En ce lieu du désert dans le bassin de Galisteo, le paysage naturel tout à fait fascinant recelait des traces cachées, des figures pariétales dessinées par les indiens d’Amérique du Nord qui vivaient là sur leurs terres avant de subir l’un des plus terribles génocides. Ils habitaient les bords du Rio Grande, et laissaient sur les pierres des traces, des gravures datées des siècles derniers, mémoire d’une présence rituelle, land art préfiguré.
Je commençais en 1989 un relevé attentif de ces pétroglyphes pour ne pas oublier que cet horizon aujourd’hui silencieux et vide, cette terre rouge et lumineuse exposée sous un ciel ample, ouvert, avaient précédemment été la terre des indiens.
C’est aussi dans le désert du Nouveau-Mexique que la bombe atomique a été inventée, y ont été réalisés les premiers essais grandeur nature. Pour le pire, à White Sands, Alamagordo, par le scientifique Américain Openheimer en 1945. Puissance diabolique qui après avoir été lâchée dans le désert américain le 16 juillet 1945 « Trinity test » a rayé en quelques secondes de la carte du monde Hiroshima le 6 Août 1945 et trois jours plus tard le 9 Août, Nagasaki.
Il y a non seulement dans ce travail la beauté d’un territoire hors du commun mais aussi /comme en creux/ d’étranges présences qui hantent ce lieu, des sociétés d’hommes et de femmes rayées de la carte et plus tard le désir de création d’une arme de destruction radicale, l’installation au désert d’une épouvante permanente avec quoi il faut vivre aujourd’hui encore, plus que jamais sans doute. Et je pense avoir tracé mon chemin à partir de ces éléments paradoxaux, contradictoires sûrement, faisant se rencontrer la surface de l’image, sa beauté apaisée et subtile, avec ce qui la contredit toute. Opposition entre le papier lisse et muet de la photographie souvent présentée en grand format d’avec l’Histoire (grande hache) particulièrement violente qui a été vécue là.
Ce n’est que beaucoup plus tard, dans l’après coup de ma pratique photographique que je comprendrais ce qui se logeait là, un usage de la photographie tel qu’il voile et dévoile à la fois une image en suspens, silencieuse, qui véhicule presque toujours une histoire chaotique de bruits et de guerres.
J’y suis retournée sur ce territoire au mois de mai 2017 pour y vérifier certains points. Et c’est autour de ce retour qui m’a arraché quelques certitudes, que je propose cette exposition. Car j’ai fait de ce lieu du désert, dans le bassin de Galisteo près de Santa Fé, le lieu de ma fascination pour l’image, son origine photographique en quelque sorte, en une forme d’autoportrait de la photographie elle-même, souvent réduite à une gamme de gris minimalistes.
« Socle du monde. »
Le voici donc revisité ce lieu tellement aimé, traversé d’images autres, d’images réalisées ultérieurement au cours de mes voyages et de mes différents projets, et qui s’invitent ici pour bousculer l’ensemble des paysages américains. Biffure, gifle, court-circuit.
Ces photographies isolées, disparates, viendront problématiser le calme apparent des paysages. Décollées d’une géographie lointaine, invitées à poser ici ou là les jalons d’une quête complexe de signes opaques, d’indices à bas bruit, d’interférences hasardeuses, elles inviteront à la rencontre d’un monde contemporain haché, livré aux affres des guerres et des exils, des catastrophes et de la folie exponentielle des hommes.
Monique Deregibus, Marseille, novembre 2018